mercredi 30 juillet 2008

Je ne suis pas celui que vous pensez…


« Je ne suis pas celui que vous pensez… »
La première phrase de l’invocation me prend au dépourvu. Je sens mon cœur qui s’accélère en pensant au danger que j’encours si j’ai fait une erreur dans le rituel. Je parcours la pièce du regard en réfrénant un élan de panique. Les sept bougies sont toujours allumées, l’heptagramme continue de briller tout autour du bassin et les deux souriceaux sont bien vivants dans leur cage. Pas de risque qu’elle ne s’échappe a priori. Pourtant je suis convaincu qu’il est en train de se passer quelque chose qui va remettre en cause l’ordre des Royaumes…
« Alors qui êtes vous ? » Ma voix n’a pas l’assurance du Maître Invocateur mais j’espère qu’elle ne laisse pas trop deviner de ma jeunesse.
« Je suis celui qui a été et qui n’est plus… »
Je n’arrive pas à y croire. L’invocation a été correctement liée au bassin de Vérité et pourtant elle refuse de répondre à mes questions. Que vais-je faire ?
Je ne vais pas pouvoir jouer au chat et à la souris –surtout si je suis la souris- pendant longtemps car le Maître ne saurait tarder à être de retour de la réunion du Conseil.
« …et qui sera de nouveau. »
Je contemple les volutes qui se forment au dessus du bassin. Il s’agit bien du visage de Corrick avec son sourire enjoleur et ses yeux brillants de malice. D’ailleurs je ne vois pas comment j’aurais pu me tromper pour invoquer son ombre avec tout le mal que je m’étais donné pour obtenir une mèche de ses jolis cheveux roux. Je fais une moue boudeuse en pensant qu’il ne me regarde quasiment jamais... Maudit soit le jour où je suis tombée amoureuse de ce vaurien. À peine ais je formulé la pensée que je forme une gomme mentale pour éloigner le Rituel Négatif de cette situation déjà suffisamment compliquée comme cela. Je suis pourtant sure de mes compétences en Rituel d’Invocations – Deux fois première du cours de Maître Súrion – et je n’aurais jamais pu raté l’ombre de Corrick, maudit soit il. Gomme. Je dois me reprendre et ne pas me laisser entraîner sinon je risque de voir l’invocation s’échapper. Déjà les flammes des bougies commencent à vaciller et les souriceaux se sont arrêtés de parcourir leur cage. Je prends une grande inspiration basse et je recentre mes perceptions sur ma sphère énergétique. Fini les rôles de petite sotte amoureuse qui veut savoir si on l’aime. Je dois être prête à affronter ce dont Galdor – je parviens à sourire devant mon audace à appeler le Maître de cette façon familière – nous à toujours mis en garde : une apparition menaçant de se délier.
Je regarde l’invocation avec plus d’attention maintenant. Son attitude n’est pas du tout menaçante et il émane d’elle une sagesse qui me confirme que ce n’est pas ce vaurien de Corrick.
« Comment avez-vous pu entrer dans ce rituel ? » Je manque de lui rappeler qu’elle est liée à un bassin de vérité mais m’en abstiens devant la petitesse de cet argument. Je suis en présence d’une force qui inspire le respect et qui mérite pour l’instant d’être traité comme un hôte de marque plutôt qu’un ennemi. J’envoie une pensée amicale à la Maîtresse de Cérémonies et je me promets d’être plus attentive lors des prochains cours.
« Vous m’avez appelé pour me poser une question. Comme vous le savez parfaitement je suis lié à un bassin de vérité et je ne pourrais manquer de vous répondre… »
Je suis sure que je l’ai vu sourire en parlant du bassin de vérité, comme s’il savait très bien que j’avais failli lui en faire la remarque. Je suis de plus en plus perplexe devant ce phénomène que je ne comprends absolument pas. Le rituel a été accompli complètement, je connaissais très bien l’ombre à invoquer, j’avais un effet personnel pour faciliter le passage et j’étais en présence du bassin de vérité le plus pur du comté voire de tous les royaumes. Qu’est ce qui avait pu rater ? J’en viens presque à poser la question à l’invocation tellement ma curiosité est forte. Mais je sais qu’il s’agirait d’un caprice de jeune femme et que je ne peux me le permettre en cet instant crucial.
« Je sais aussi que je n’ai le droit qu’à une question avant que vous repartiez dans votre plan d’origine… »
Et si je lui demandais si Corrick accepterais d’être mon amoureux ? J’en ai presque les larmes aux yeux devant l’occasion gâchée de savoir une bonne fois pour toute si la rumeur de son aventure avec la grande Ireth était véridique…
« La sagesse n’attend pas le nombre des années, jeune Kamra. Vous êtes bien placée pour le savoir… »
Je sursaute si fort en entendant mon nom dans la bouche de l’invocation que je bouscule le chandelier sur ma droite et je dois faire un geste désespéré pour l’empêcher de s’écrouler en rompant le charme de liaison. Autant pour la gentillesse de l’invocation ! J’aurais de quoi témoigner lors d’un prochain cours quand la sempiternelle admonestation viendra : « On ne fait jamais confiance à une invocation ! Il n’y a pas d’invocation gentille ! Une invocation cherche uniquement à se libérer pour entreprendre les actions qui lui sont propres »
Je remercierai Maître Galdor Súrion de nous avoir fait la leçon sans relâche car sans lui je n’aurais jamais résisté à poser la question qui me brûle les lèvres maintenant : « Comment pouvez vous connaître mon nom ? »
Cette fois ci, je suis sur que l’ombre a ri à pleine gorge. De ce rire silencieux qui est si déroutant pour qui ne l’a pas encore expérimenté. Je me vote une première place pour ma réaction parfaitement calme et ma respiration qui a déjà retrouvé son rythme de relaxation propre aux Rituels.
« Vous féliciterez votre Maître de ma part, jeune Kamra. Il a fait de vous une apprentie très habile… dont le charme ne fait qu’augmenter l’attrait »
Je n’arrive pas à en croire mes oreilles. Cette invocation se permet de me taquiner alors qu’elle est en mon pouvoir et que le Rituel n’a pas encore été finalisé ? Cependant, je sais que je n’aurais pas le temps de lui faire rendre la monnaie de sa pièce car la réunion ne devrait sans doute plus tarder. Je décide alors de faire appel à mon guide pour percevoir quelle est la question que je dois poser avant que je ne commette une erreur qui me mettrait à sa merci ou qui lui permettrait de se délier…
Je ressens la vague de paix et de chaleur qui accompagne la venue de mon guide et je lui pose la question. Je ne peux empêcher un petit rire cristallin en me disant qu’au moins mon guide me laisserait lui poser autant de questions que je le voulais. Bien sur, ce rire fait voler en éclat ma connexion avec le guide mais je me sens renforcée et prête à annoncer ma demande à l’invocation.
« Quelle est cette information que vous êtes venu de votre propre gré annoncer dans notre monde, madame l’invocation inconnue ? »
Je ressens une grande fierté de voir les volutes qui forment son visage se plisser comme sous l’effet d’une grande contrariété. Voilà pour l’attrait de mon charme, et toc.
« Jeune Kamra. Ne provoquez pas des forces que vous ne sauriez contrôler malgré vos talents évidents. Je vous excuse car j’ai certainement manqué de tact avec une personne qui avait très agréablement suivi les enseignements de Maîtresse Alcarin. Je dois vous remercier pour cette question extrêmement bien formulée malgré votre taquinerie finale… »
En l’écoutant, je me rends compte que j’ai été à la limite insultante alors qu’il n’avait fait qu’un compliment. J’évite de réfléchir plus avant sur les raisons de ma susceptibilité et je me remets à l’écoute de l’invocation.
« Je suis venu vous avertir que de grands changements se préparent dans les Territoires du Nord et que vous aurez certainement besoin de retrouver les Reliques Perdues pour sauver les Royaumes. Vous aurez aussi besoin de me faire revenir de façon plus permanente que par un rituel d’invocation… »
Je sais ce qui va suivre maintenant. J’en tremble d’avance. Il va me dire son nom et ce nom va être…
« Tahar Mahl’araji… »
Le premier Premier Conseiller du Conseil des Royaumes. Je n’en reviens pas de mon audace. Avoir osé traiter de madame l’invocation le grand Tahar. Je pense que j’omettrais cela lorsque je devrais rendre compte au conseil de l’Université.
Car je n’imagine pas un seul instant garder pour moi cette information, malgré la punition que j’encours pour avoir utilisé le bassin du Maître Invocateur sans permission.
Je regarde l’ombre disparaître et je retiens avec peine un « Au revoir Conseiller » qui me vaudrait sûrement une admonestation si…

« Apprentie Kamra ! Vous savez très bien que saluer une invocation est pire qu’inutile. C’est un dangereux moyen de la relier. Et si maintenant vous m’expliquiez ce que vous faisiez avec l’ombre du Premier Conseiller dans mon Bassin… »

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