vendredi 30 septembre 2011

Trois lunes

Je vois deux lunes à travers la baie vitrée. Pour parfaire mon rôle d'habitué de ces fêtes d'intronisation, et pour le plaisir que me procure toujours les ciels multi satellitaires, je reste un instant en haut du double escalier spirale pour chercher la troisième lune. Époque de l'année, latitude… sourire en évoquant le nom que donne les enfants à cette conformation. Je la vois dans une sorte de hublot qui semble représenter l'oeil d'un gigantesque batang. Oeil du batang et coeur d'elfargue - la poésie de Julius m'emplit l'esprit. Heureux présage comme tous ces bonheurs simples qui me rendent joyeux.

Flanqué d'un sourire « réception officielle », je reprends ma descente vers la salle principale. Rapide coup d'oeil. Je cherche des figures connues. Le magnat de la presse Karlong occupe une alcôve sur la droite avec deux très jolies jeunes femmes à ses cotés. Probablement des cyborgs Anderlasins. L'absence de tout garde du corps dans le périmètre me conforte dans cette idée. La femme du Prédirgé minaude autour de ses habituelles admiratrices, entourée d'une horde de freluquets en manque de réussite. Plusieurs zones d'effervescence sociale. Les piques assiettes standards autour du buffet. Quelques sourires de bienvenues m'attirent et me promettent quelques instants de plaisir dans un exercice que j'ai toujours du mal à dominer malgré sa répétition. Je glisse quelques mots de ci de là tel un papillon, tout en me dirigeant vers le râtelier... pardon le buffet... pour y prendre l'arme suprême : un verre de liqueur de Sang Vert... Rien de tel pour engager les conversations et en plus j'aime son goût amer et doux à la fois. Une fois habitué à la couleur, cela ne pose aucun problème...

Je pense que je me suis arrêté brutalement. Je balbutie de vagues excuses aux personnes qui, surprises, me percutent. Je ne parviens pas à détacher mon regard malgré les réflexes inculqués par le rôle de mondain que je travaille depuis tout ce temps. Avance, continue ton chemin vers le bar m'enjoint avec frénésie mon centre moteur. Qu'elle est belle ! Qu'elle semble douce et forte s'extasie mon centre émotif. De qui s'agit il ? Comment faire pour lui parler…

Rezo ! Je rejoins brusquement le monde réel au son de mon nom. Je tourne difficilement la tête vers le tumulte joyeux qui arrive...

"Rezo, comment vas tu ? Tu devineras jamais...

Je secoue intérieurement mon esprit, après un effort conscient pour mémoriser ce visage, cette silhouette, ces cheveux... stop !

"Faydor, Quelle surprise. Qu'est ce que tu vas encore m'annoncer ?" Le sourire qui éclaire mon visage se fait chaleureux. J'ai un faible pour ce passionné de connaissances qui est capable de vous réciter dans leurs moindres détails les civilisations des 37 planètes majeures ainsi que la plupart de celles référencées dans les banques de données accessibles au public. S'agissant d'une soirée officielle, je n'évoque même pas les sources de données moins légales qu'il farfouille à sa guise.

Je le serre contre moi. Ce qui ne manque pas de le faire rougir et d'accentuer mon sourire.

Si mon esprit n'avait pas un visage un tant soit peu triangulaire encadré de cheveux argent mi long et des yeux violets intenses en tête, je pourrais prêter attention à ce qu'il me dit.

Je devine que cela parle de musique, très certainement un futur concert ?

De toute façon, mon recorder interne me donnera l'information précise ce soir.

« Rezo, tu m'écoutes ? »

« Excuse moi, je suis un peu absent. Tu viens prendre un verre ? »

« Volontiers. Et aujourd'hui, c'est moi qui régale » annonce-t-il dans un éclat de rire qui provoque des vagues de surprise dans la mer des invités. N'ayant semble-t-il jamais de Crédits sur son identification légale, il me laisse toujours m'occuper de ce genre de formalités dans les endroits payants. Et il ne manque jamais de m'inviter lorsque nous nous retrouvions dans les salons de l'ambassade. Je profite de ce moment pour essayer de la voir à nouveau mais en vain.

« Bien sur Faydor. Mais la prochaine sera pour moi alors »

Son éclat de rire retentit avec un impact très largement atténué qui montre l'adaptabilité de ces gens blasés de stimuli. Mes pensées retournent quelques instants en arrière pour savourer sa présence…

« Bon alors. Tu serais d'accord pour m'empoisonner ? »

Je sursaute. Mon visage a du montrer une telle stupéfaction que je n'ai pas le temps de répondre. Son rire résonne de plus belle.

« Rezo, tu n'as rien écouté de ma proposition n'est ce pas ? »

« Je suis désolé, Faydor » En le disant, je me rends compte que je le suis vraiment, profondément. Ces projets sont toute sa vie. Il ne termine un projet que pour lancer une nouvelle idée. Je me demande qui il serait si son sens de la vie était l'argent et le pouvoir au lieu de la liberté et le dépassement de la connaissance…

« T'inquiètes pas, je vais te l'expliquer de nouveau » rigole t-il. « Mais avant dis moi ce qui te préoccupes. Pas de nouvelles rumeurs d'Anderlas quand même ? Non. J'aurais récupéré l'info bien avant toi… Je sais ! Sacré Rezo ! » Son sourire s'élargit et il me donne une tape sur l'épaule qui manque de renverser le petit verre de liqueur que je viens de prendre.

« Comment elle s'appelle ? »

« Justement c'est cela mon pro… » Je m'arrête au beau milieu de la phrase avec le sentiment de culpabilité de l'adolescent pris la main dans le sac…

Excrément de sentiment
D'Immonde Morale
De Censeurs Sanglants
Sans Cœurs, Sans Glands

Je baisse la voix et je regarde autour de moi si on nous écoute. Geste parfaitement dérisoire au regard des prouesses technologiques, mais on ne peut pas toujours avoir la réponse la plus adaptée.

« Faydor, tu es incorrigible. Mais je te dois bien la vérité. Quand tu m'as appelé, je venais d'entrapercevoir une jeune femme exquise dans la salle. Je ne l'ai jamais vu auparavant et tu sais bien que je fréquente souvent –trop souvent même volette dans mon esprit sans franchir le mur du son- ce genre d'endroit. Mais elle a déjà disparue. Je ne la reverrais probablement jamais dans cette foule : pourtant elle avait un visage tellement charmant, pas mystérieuse mais avec une sorte de profondeur qui donnait envie de faire sa connaissance. Et puis elle avait ses cheveux argentés mi-longs et ses yeux d'un si beau violet… Tu vois ce que c'est un violet de 399μm ?

« Je vois surtout que tu es tombé accroc de la jeune femme la plus dangereuse de ce coté de la voie lactée… »


Aucun commentaire:

Creative Commons License
Ce site by Ecrivain Humaniste est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Paternité-Pas d'Utilisation Commerciale-Pas de Modification 2.0 France.